« Moolaadé », un film de Sembene Ousmane – Prix « Un certain regard » à Cannes 2004
Africaines contre l’excision
Quel meilleur argument contre les mutilations sexuelles que le film poignant du cinéaste sénégalais Sembene Ousmane mettant en scène la révolte des victimes ! Selon le dernier rapport d’Amnesty International, on compte de 100 à 130 millions de femmes et de fillettes excisées dans le monde. Certaines finissent par se rebeller, comme cette trentaine de femmes du village sénégalais de Malicounda qui, en 1997, ont publiquement bravé la tradition.
Tourné au Burkina Faso avec des acteurs ivoiriens, sénégalais et burkinabés, le film de Sembene Ousmane s’inspire de ces faits réels qu’il transfigure, par une tension permanente, en une fiction fascinante. Le moolaadé est le pouvoir d’accorder protection à ceux qui sont en fuite. Ainsi le veut une vieille tradition africaine. Aussi vieille que l’excision, cette ablation du clitoris qui rend les femmes frigides et fidèles. Comment ne pas prendre parti lorsqu’un mari polygame flagelle son épouse en public pour avoir accordé protection à des fillettes en fuite devant l’exciseuse ? Car, si elle tombe sous les coups, son pouvoir de moolaadé est caduc. Mais si elle résiste, elle devient intouchable…
Quand le maître du cinéma africain filme les rapports sexuels entre le mari et son épouse préférée mais rebelle, la caméra s’arrête sur le visage crispé par la douleur que provoque cette plaie saignante. C’est parce qu’elle ressent dans son corps les séquelles terribles de cette mutilation qu’elle refuse de faire exciser sa fille et accueille les fillettes apeurées se réfugiant auprès d’elle pour échapper aux couteaux des exciseuses.
Peu à peu, la rebelle fait des émules dans le village. Cherchant les causes de cette désobéissance de leurs femmes, les hommes s’emparent d’abord des postes de radio, soupçonnés de corrompre l’esprit des villageoises. On brûle les radios comme à une autre époque on a brûlé les livres. On finit par assassiner le seul homme qui a osé venir au secours de la femme flagellée : un Africain qui a couru l’Europe et en a rapporté des idées décidément trop larges pour cette société assujettie à l’autorité et au respect des anciens qui s’érigent en gardiens d’une tradition immuable.
« En Afrique, on ne fait pas du cinéma pour vivre mais pour communiquer. Pour militer », dit Sembene Ousmane, qui a d’ailleurs abandonné la plume pour la caméra afin de mieux communiquer avec un peuple africain en majorité analphabète. Fils d’un pêcheur de la Casamance, au Sénégal, né en 1923, il travaille d’abord comme mécano, maçon, puis comme docker à Marseille. Dans son premier roman, Le Docker noir, publié en 1956 (Nouvelles Editions, Paris), il raconte sa vie de travailleur qui court les bibliothèques, les ciné-clubs et les théâtres le soir, poussé par une soif de savoir toujours inassouvie. A 40 ans, il entame sa formation de cinéaste aux studios Gorki, à Moscou. Aujourd’hui, il en est à son quinzième film et à son onzième roman. Ce qui lui importe, c’est de toucher les gens, de discuter, de brasser des idées – ne serait-ce qu’en projetant ses films sur la place d’un village africain.
Moolaadé est le deuxième volet d’un triptyque qui célèbre l’héroïsme au quotidien, inauguré en 2000 par Faat Kine, portrait d’une femme africaine, et qui s’achèvera avec La Confrérie des rats, en cours de tournage. Le regard critique et résolument progressiste de ce cinéaste engagé est une chance pour l’Afrique et pour les femmes africaines, auxquelles il rend hommage.
Brigitte Pätzold.