Synthèse du rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineur.e.s

Co-président.e.s de la mission : Flavie FLAMENT et Jacques CALMETTES
Synthèse réalisée par ECVF

La mission recommande d’allonger le délai de prescription de 10 ans, pour le porter à 30 ans à compter de la majorité de la victime. Une victime de crimes sexuels vécus dans l’enfance pourrait entamer des poursuites jusqu’à ses 48 ans. Le délai de prescription des crimes sexuels commis sur mineur.e.s serait ainsi aligné sur celui de certaines infractions qui font l’objet d’une dérogation dans la loi « Fenech-Tourret ». Cette solution s’inscrit dans l’esprit de la loi qui vise à renforcer la cohérence et la lisibilité des délais de prescription.

En France métropolitaine, 3,7 % des femmes et 0,6 % des hommes déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol au cours de leur vie. Pour plus de la moitié des femmes et pour les trois quarts des hommes victimes, cette agression a eu lieu alors qu’elle ou il était âgé.e de moins de 18 ans ; presque toujours avant 15 ans , et même très souvent avant 10 ans . La famille est un lieu à haut risque, c’est le premier lieu des violences sexuelles . Lorsqu’elles sont commises dans le cercle familial, ces violences sont la plupart du temps répétées .

Le faible nombre de plaintes au regard de l’ampleur du phénomène s’explique par la difficulté à dénoncer les faits (emprise, sentiment de culpabilité) et le temps nécessaire à la prise de conscience des violences vécues (amnésie traumatique).

Ce rapport, commandité par le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes propose des recommandations qui pourraient être traduites dans la loi. Pour ce faire, la mission a procédé à 27 auditions de professionnel.le.s, associations et victimes, en croisant les expertises « métier » et « vécu », et développe, à la lumière de ces auditions, les points suivants :

  • les spécificités des viols sur mineur.e.s
  • l’allongement du délai de prescription
  • l’accompagnement des victimes avant et après la prescription

Spécificités des crimes sexuels commis sur mineur.e.s

Les crimes sexuels commis sur mineur.e.s sont très difficiles à dénoncer pour les victimes (difficulté à comprendre la gravité des actes, honte, emprise de l’agresseur, conflit de loyauté). Le phénomène d’amnésie traumatique empêche parfois les victimes de se souvenir des agressions. La mémoire peut revenir après des années de black-out lorsque la victime est confrontée au traumatisme vécu d’une façon ou d’une autre.

Emprise de l’agresseur. Les mineur.e.s sont le plus souvent victimes de viols de la part d’un membre de l’entourage proche (famille, club de sport, école…). L’agresseur est en position d’autorité, ce qui rend son emprise d’autant plus forte, et la victime est en permanence confronté à l’agresseur.

Rôle des professionnel.le.s en lien avec les enfants. Ces professionnel.le.s ont une responsabilité dans la dénonciation des crimes sexuels subis, mais sont souvent peu enclin.e.s à dénoncer les faits soupçonnés (moindre considération de la parole des enfants, peur d’une action en dénonciation calomnieuse de la part de l’agresseur)

Stratégie de l’agresseur. Les agresseurs développent des stratégies pour soumettre leurs victimes au silence : illusion d’un lien privilégié, menace, dissuasion sur le mode « personne ne te croira ». Les crimes sexuels sur mineur.e.s sont plus nombreux pendant l’enfance et diminuent à l’adolescence, car ils sont alors davantage susceptibles d’être dénoncés par les victimes. Les agresseurs adaptent donc leur comportement prédateur au risque qu’ils savent encourir en commettant ces crimes.

Proposition de la mission d’allonger le délai de la prescription pénale

La mission de consensus a examiné deux hypothèses : rendre les crimes sexuels sur mineur.e.s imprescriptibles, ou allonger le délai de prescription. Elle rappelle que l’imprescriptibilité ne se heurte à aucun obstacle juridique, mais considère qu’elle ne pourrait s’inscrire que « dans une réforme globale qui rendrait imprescriptibles les crimes les plus graves, par exemple tous les crimes commis sur mineur.e.s ». La solution intermédiaire proposée est donc d’allonger le délai de prescription de 10 ans supplémentaires.

Délai de prescription actuel. Actuellement le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineur.e.s est de 20 ans à compter de la majorité de la victime, ce qui signifie qu’une victime peut porter plainte jusqu’à ses 38 ans. C’est la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », qui a porté le délai de prescription à 20 ans. La dernière loi (27 février 2017) relative à la prescription en matière pénale, dite loi « Fenech-Tourret » a laissé inchangé le délai de prescription pour ces crimes.

La mission propose d’aligner le délai de prescription des crimes sexuels commis sur mineur.e.s sur celui de certaines infractions qui font l’objet d’une dérogation dans la loi « Fenech-Tourret », et ainsi de faire passer le délai de prescription de 20 ans à 30 ans à compter de la majorité de la victime, lui laissant la possibilité d’entamer des poursuites jusqu’à ses 48 ans. Cette solution s’inscrit dans l’esprit de la loi qui vise à renforcer la cohérence et la lisibilité des délais de prescription.

Mieux accompagner les victimes avant et après la prescription

La mission recommande d’améliorer les dispositifs existants pour encourager les victimes à porter plainte avant la fin du délai de prescription et accompagner les victimes qui souhaitent déposer une plainte mais dont le délai de prescription est arrivé à son terme.

Des dispositifs existent pour faciliter la libération de la parole des victimes et repérer les violences par la famille et l’entourage (information du public, des enfants et des adultes ressources, formation des professionnel.le.s en lien avec les enfants). Il s’agit de les développer, les renforcer et les diversifier.

Par ailleurs, la mission rappelle que le dépôt de plainte est un droit, dont les victimes doivent pouvoir user, même si les faits sont prescrits.

Le Parquet des mineurs du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris a prévu ce cas de figure et ouvre une enquête dès la révélation des faits par la victime, même si les faits semblent prescrits. Par la suite s’il se confirme que les faits sont prescrits alors l’affaire est classée sans suite. Ainsi la victime est entendue et le dossier, classé dans le logiciel « Cassiopée » du ministère de la Justice, peut être ressorti si d’autres victimes viennent déposer une plainte mettant en cause le même agresseur.

La mission insiste également sur le rôle central que peuvent jouer les associations dans le soutien aux victimes dont la plainte n’a pu être suivie d’effet en raison de la prescription des faits.

Dans son rapport, remis à la Ministre Laurence Rossignol, la mission émet 8 recommandations sur les délais de prescription et l’accompagnement des victimes.

Retrouvez toutes ces mesures détaillées dans le rapport de la mission.

Pour aller plus loinretrouvez les résultats de l’interpellation d’ECVF aux candidat.e.s à l’élection présidentielle.